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L'infiltré de la Havane

 

L’infiltré de la Havane
Nikos Maurice
Noire/La Différence (2016)

 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

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08 février 2016 | Lien permanent

Coup fourré rue des frigos

 

Coup fourré rue des Frigos       
Alain Amariglio & Yves Tenret      
Editions Noire/La Différence (2016)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

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18 juin 2016 | Lien permanent | Commentaires (1)

Ici meurent les loups

Ici meurent les loups
Stéphane Guyon
Edition de la Différence      
Noire/ La Différence (2015) 

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

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31 mai 2015 | Lien permanent

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles.

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles.        
Yves Tenret      
Noire/La Différence    
Editions de la différence (mars 2015)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

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21 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (1)

Autour de madame Braoul

Autour de madame Braoul
Janette Ananos
Les Découvertes de la Luciole, (6 juin 2018)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

   image.jpg Dans  les  treize nouvelles de Janette Ananos, Autour de madame Braoul, des destins de femmes se croisent au fil des années.  Leurs « pans » de vie se tissent autour de l’institutrice Geneviève Braoul, trentenaire dans les années cinquante. Des souvenirs émouvants, des moments insignifiants mais essentiels et  cruciaux pour Catherine, Henriette, Agathe, Muriel..., des filles, des mères, des grands-mères, des amies,  sont capturés, ressuscitant les différents âges de la vie des protagonistes. Des tableaux sur les mœurs  du début du XXe siècle et sur les décennies suivantes, sur les états d’âme des enfants, des jeunes et des adultes, témoignent de la vie de personnes banales, de modeste extraction, issues d’un milieu provincial.   

    Les fillettes sillonnant l’ouvrage vivent à Sintanne, un village du Béarn traversé par un petit ruisseau. Comme dans un roman, le lecteur retrouve au détour d’une page, la petite fille, l’adolescente puis la femme mûre. Josiane, absente car alitée,  dans le « Tablier de la discorde » est présentée comme une fillette « fragile ». Dans la nouvelle suivante, « Sans tuteurage », le lecteur apprend  qu’elle « était comme l’abuliton, fragile, fragile physiquement » et que la « tuberculose (…) l’a brutalement emportée ». Ce personnage en creux est seulement présent dans les discours et dans les pensées des différents protagonistes comme  dans ceux de sa fille Muriel et de  tante  Agathe. Elle n’apparaît jamais.

    Ces nouvelles  rétablissent une mémoire oubliée, renouent les liens entre le passé et le présent,  se répondant avec subtilité.  Dans « Douce matinée pour un pèlerinage »,  Henriette se souvient de sa vie, de la visite de Catherine et de sa grand-mère rencontrées par le lecteur dans la seconde nouvelle : « Une image fugitive lui traverse l’esprit, celle de sa belle sœur à cette même place, et de Catherine, toute jeune à l’époque ». Henriette,  devenue une octogénaire,  revit mentalement sa jeunesse en musardant dans son jardin, en se remémorant tous ses animaux enterrés « sous le lilas mauve », « entre les deux rhododendrons »... La chute de la nouvelle note simplement qu’ « Henriette revoit Doucette et Kali, et tous les autres en cortège » après s’être « affaissée doucement ». Dans la nouvelle suivante, Lucette et René, son mari,  discutent, évoquant l’été précédent : « L’été dernier, au repas du village, le soir de la fête, on était placés à la même table qu’Henriette, tu te rappelles ? Sa dernière fête, tiens, la pauvre … ». Le couple confirme ce qui n’était qu’évoqué elliptiquement. Jamais l’auteure ne s’appesantit sur les faits. Elle les narre  avec délicatesse et subtilité ne s’autorisant aucun pathos, aucune lourdeur.

     De façon fluide, par petites touches, les nouvelles se lient entre elles. Catherine, élève de madame Braoul, devenue enseignante, est d’une certaine façon l’héritière spirituelle de son ancienne institutrice.  Toutes deux constituent le fil conducteur entre les brefs récits. Aux nouvelles, succèdent à la fin de l’ouvrage un échange épistolaire entre Catherine, désormais retraitée, et la vieille professeure des écoles. Les deux femmes rétablissent avec émotion et nostalgie une mémoire oubliée : « Voir ressurgir ce texte enfoui dans le passé m’a littéralement enchanté car c’est par une espèce de magie que je me suis vue réinstallée dans votre classe ! J’en ai redécouvert les pupitres de bois, les encriers de porcelaine blanche dont les bords devaient être immaculées lorsque nous quittions l’école en fin d’après –midi (…) ». D’une nouvelle à l’autre, au sein de récits partiels, d’anecdotes disparates, les événements se rassemblent comme les brins de laine d’un patchwork.

    Les nouvelles font renaître la mémoire d’une époque révolue où les femmes confectionnaient elles-mêmes les vêtements avec des coupons de tissu enfermés dans leurs armoires : un « joli écossais, un coton bien solide » »  ne correspondant pas forcément aux goûts des adolescentes  qui  ne choisissaient pas leurs atours. Les grands-mères portaient une « robe noire à minuscules fleurs mauves », « des (…) peignes courbes (…) rete(naient) (leurs) cheveux blancs au-dessus des tempes ». Comme avec d’anciennes photographies couleur sépia, les coutumes, les modes d’alors reviennent à l’esprit des lecteurs. Les soucis et les drames de la vie quotidienne surgissent : les petits litiges entre conjoints retraités, leurs soucis de communication, l’érosion des sentiments, sont  montrés avec humour et tendresse dans la nouvelle « du riz pour les perdreaux ». Le récit « Marie-Rose dans l’Entre-Deux » évoque les pertes de mémoire et de repères temporels,  la tristesse de la solitude, du veuvage auquel le survivant ne s’accoutume pas : « Tout à l’heure, elle s’informera auprès de son mari, lorsqu’il rentrera. (…) Un doute la saisit, comme une ombre, qu’elle chasse d’un revers de main ». Or Jean ne pourra jamais fournir la réponse attendue. Le monde réel et ses  difficultés sont donnés  à voir. Le monologue intérieur d’ « Un hasardeux découpage » dit les frustrations, le constat amer des conséquences de la misère sur la vie de la fillette: « Pourquoi les gens qui donnent des vêtements d’enfant à sa mère lui donnent-ils toujours des vêtements si laids, si sombres, si tristes ? ». Le groupe ternaire lyrique souligne son incompréhension, son indignation devant ces dons dépourvus de toute esthétique, comme si ce qui était laid était destiné aux seuls démunis. Derrière le constat apparaît une réflexion, une critique implicite. En disant, la narratrice dévoile, critique sans faire acte militant cependant.

    L’écrivaine se fait ethnologue et peintre. Elle se contente de montrer et de peindre la société telle qu’elle est, sans porter de jugement de valeur.  Une visite à des cousins sert de prétexte à  révéler le harcèlement sexuel qui peut  surgir dans tous les milieux, même dans les familles, là où l’on s’y attend le moins. Dany, la fille de madame Braoul, dans « Ce que mère veut… »,  part en voiture avec son oncle Hervé. Elle se heurte à  l’agissement à connotation sexuelle négative de ce dernier : « (…) la main d’Hervé se pose sur son genou, étreignant celui-ci à travers l’épais tissu de la jupe. (…) Dany, saisie à la fois de dégoût et d’épouvante, sent les doigts de l’homme sur sa cuisse ». Janette Ananos débusque tous les maux quotidiens de la vie, dénoue des nœuds de perversité qui enfièvrent  les relations familiales. A travers des monologues intérieurs, des dialogues   prouvant que le réel n’existe pas en dehors des pensées, des ressentis, des perceptions des personnages, de leurs échanges,  elle est attentive à tous les dysfonctionnements familiaux et  sociaux.

    A la petite histoire  Janette Ananos  mêle la grande Histoire : « Louis, le grand-oncle de Catherine, (…) a traversé les Pyrénées, à 22 ans en 1943, pour rejoindre De Gaulle (…) » afin d’échapper au STO. Il a connu les camps, la faim, le froid. Après les attentats terroristes qui ont secoué le début du  XXIe siècle, des préjugés, des angoisses minent les esprits et les cœurs. Des amalgames fleurissent. Tous les gestes d’un « beau gars, de type maghrébin » dans « Alors, Charlie ? » font naître des soupçons chez Marie lorsqu’elle accompagne sa petite fille, son mari et leur fillette à l’aéroport. Elle interprète négativement la moindre des actions du jeune homme : « le texto si bref, le sac de sport si démesuré, le journal qu’il ne lisait pas (…) ». Elle imagine le pire.

     C’est avec une écriture délicate et poétique (« le chien zigzagant, que sa course sinueuse mène d’une fragrance à l’autre, d’un bord du sentier à l’autre, les arbres qui délimitent cette ancienne voie ferrée devenue promenade, le vent frivole qui taquine les feuillages, message de fraîcheur bienvenue dans cette fin de matinée déjà torride du mois d’août…  »)  que  Janette Ananos plonge le lecteur dans l’existence de toutes ces figures féminines. La forme de la nouvelle convient très bien pour donner tous ces aperçus du réel, ces petits faits qui constituent des fragments de la vie des villageois de Sintanne : ceux qui  sont restés dans ce village, ceux qui l’ont quitté ou ceux qui sont revenus. Cette cristallisation d’instants dans des nouvelles qui se répondent comme les chapitres d’un roman embarque le lecteur dans la nostalgie des souvenirs.

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27 juin 2018 | Lien permanent | Commentaires (2)

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Mille ans après la guerre
Carine Fernandez       
Editions Les Escales (septembre 2017)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

   Image mille ans.jpg Loin de ses ouvrages  sur le Proche-Orient auxquels elle avait habitué son lectorat, Carine Fernandez  raconte dans son dernier roman  l’histoire de Medianoche, un brave homme  âgé et solitaire jeté bien malgré lui dans la tourmente de la guerre civile espagnole  désormais fort loin des esprits, Mille ans après la guerre comme le souligne son titre hyperbolique.

    Medianoche, sobriquet de Miguel,  est un homme pauvre et simple, d’extraction populaire,  qui s’est trouvé par hasard victime de l’Histoire. Le lecteur plonge dans les pensées, les sentiments, les émotions, les souvenirs, la vie présente et passée  du vieil homme dont il suit le cours  à travers ses monologues intérieurs, des récits en focalisation interne, le style indirect libre,  se déployant loin de toute linéarité chronologique. Ce personnage attachant donne à voir la guerre d’Espagne du côté de ceux qui ont été oubliés  accordant  en même temps une dimension universelle à l’ouvrage. Médianoche  mène une existence solitaire. Son unique compagnon  est Ramon, son chien tendrement aimé. Inséparables, tous deux se ressemblent. Ils possèdent le même sourire immuable : sur le visage du « vieux au chien (….) s’était figé depuis des années, un sourire indélébile, creusé au même titre que les rides (…) Le même sourire que son chien ». A la fin   du roman, le lecteur apprend que la déformation de son  visage  est due aux coups brutaux et sadiques  donnés par  les franquistes au jeune garçon : « Ils s’en donnèrent à cœur joie, lui fracassèrent la mâchoire à coups de botte. L’os s’est ressoudé de traviole, lui figeant à vie cette grimace rigolarde à travers la figure ». Depuis,  un sourire figé, « faux sourire qui n’avait rien d’affable »  creuse le visage du vieillard à l’image  de celui de Gwynplaine de Victor Hugo.

    Solitaire, dépourvu de toute attache familiale et amicale, veuf depuis cinq ans, Medianoche vit paisiblement « sa vie dans la plus glorieuse des anarchies, mange (ant) avec son chien en francs camarades ».  L’unique  luxe  de ce vieux libertaire est son patio aux multiples et merveilleuses fleurs colorées qu’il soigne avec amour. Une lettre de sa sœur Nouria  va brusquement bouleverser sa tranquillité et risquer de porter atteinte à sa liberté. Le souhait de Nouria  d’unir sa solitude à celle de son frère   pousse  ce dernier à  fuir précipitamment son « cantonnement ». Medianoche,  lui  qui n’a jamais osé s’échapper des camps de concentration, ose  enfin partir, s’évader, fuir le danger représenté par sa sœur : en effet  elle va mettre de l’ordre dans sa petite maison, y réunir les voisines  et surtout,  n’appréciant  pas les chiens, elle aura tôt fait de se débarrasser de Ramon.

    Medianoche s’éclipse donc en autocar avec son inséparable compagnon à quatre pattes en direction de Montepalomas, son village natal quitté lors de la guerre civile. Mais  soixante ans ont passé. Tout a changé. Les paysages ont été profondément modifiés : « Le vieux ne reconnaît pas le canton du Fresno. Où sont passés les chênes-lièges et les oliviers ? », « il ne reconnaît plus rien ».   Le hameau de son enfance  a été englouti  sous un lac  artificiel : « Une grande partie de la Sibéria fut engloutie et Montepalomas  rayé de la carte ». Le retour au village natal ne pourra jamais avoir lieu. Le vieil homme devient  un exilé, un déraciné. Ses origines sont détruites, effacées, niées. Le voyage dans l’espace se transforme  alors en voyage dans le temps. Des lieux traversés, des personnes rencontrées font ressurgir le passé. Beaucoup de souvenirs s’entremêlent dans l’esprit du vieil homme. Le récit  effectue de continuels  allers retours entre le passé et le présent. Medianoche se revoit enfant, adolescent en compagnie de son frère, son double, l’absent intensément présent.

    Les jumeaux Médianoche et Médiodia que « rien ne  (…) distinguait, comme une double impression d’un même coup de tampon. Aussi identiques que deux fourmis sur une nappe », des enfants adorables, inséparables que seul le caractère opposait : « Medianoche (…) discret et craintif », Mediodia, rieur,  « facétieux »,  devenu ensuite un adolescent révolté.   Entrainé par des camarades,  comme dans un jeu, Mediodia se laisse emporter par les événements et les émotions du moment. Il souille l’église du village et badigeonne de peinture rouge, « rouge comme le Parti et comme Moscou »  le visage du Christ.  Dénoncé par des voisins, il est arrêté par les phalangistes puis exécuté. La mort de son frère jumeau bouleverse la conception de la vie du vieil homme.  Pour lui désormais « tout est égal ».  Il a honte d’avoir survécu à son frère par « pure chance »,  cette chance  intervenue qu’une seule fois dans sa vie pour son plus grand malheur, la perte d’une partie de lui-même, du double aimé de façon inconditionnelle : « Ce sont des choses du sort qui prétend vous sauver et vous crucifie à vie ». Medianoche  culpabilise : « Qu’as-tu fait, qu’as-tu fait de ton frère ? ». Le guignon  s’installe alors dans son existence : « Ah oui ! La chance ! Il n’a jamais été marié avec la chance. Il n’a pas dû naître sous une bonne étoile ».  Le jeune homme, bien que libertaire, fortement attaché à la liberté,  n’est pas acteur dans la guerre, il  la subit, n’en est  « qu’un figurant ». Après avoir été caché par Ambrosio dans les collines, il est arrêté et emprisonné considéré comme un rouge par les fascistes.

    Dans les geôles franquistes, Medianoche découvre l’insoutenable, l’impensable : la violence, les sévices,  la peur, la faim. Heureusement un rayon de lumière jaillit de cet univers sombre et mortifère. Il rencontre le courageux et solidaire capitaine Andrés qui tenta vainement trois fois de s’échapper des camps. Andrés, engagé dans la lutte, dans le combat, militant anarchiste convaincu  issu des hautes sphères de la société, médecin, intellectuel, amoureux de l’art mourut  stupidement, paradoxalement sans gloire, d’un virus : « La vie avait tout donné à cet homme, tout. Sans compter le guignon. Andrés était à la fois fils de la fortune et de l’infortune. Tout ce qu’il entreprenait frisait la perfection, mais la déveine le rattrapait au dernier moment. Il connut trois évasions avortées. Il en projetait une nouvelle quand la maladie lui fit le dernier croc-en-jambe ». L’ironie du sort soulignée par la personnification de la maladie est la plus forte.  Elle ne consacre pas ceux qui le méritent.
     Une profonde amitié, une très forte complicité unit les deux hommes malgré leurs différences sociales et intellectuelles. Alors que Medianoche n’a possédé et lu qu’un seul livre, Andrés l’ouvre à la culture, à la réflexion : « Andrés lui avait appris à se penser homme libre, lui avait enseigné l’histoire, récité de la poésie, chanté des airs d’opéra. Si Medianoche était un peu moins brute qu’une mule, il le devait à celui qu’on surnommait El Médico ». Les partis politiques sont clivés mais les classes sociales s’unissent parfois. Andrés et des bourgeois prennent les armes  pour la  République : « C’étaient des riches, pas des rouges ni des anarchistes, mais ils avaient pris les armes pour la République ». Des liens d’amitié, de solidarité se créent au-delà des différences socioprofessionnelles.  L’amitié de Medianoche pour Andrés ne s’éteindra jamais. Sa flamme brûle toujours dans le cœur du vieil  ouvrier, concrétisée par le petit carnet intime du capitaine. Ce petit carnet, objet bénéfique, apparaît à la mort d’Andrés puis il réapparaît à la fin de l’histoire. Il représente l’amitié inconditionnelle, la solidarité, la liberté. Medianoche ne le donne même pas à Rosario, la compagne et mère de la fillette d’Andrés. Il considère que ce carnet est à lui. C’est son unique souvenir concret d’Andrés. Il colle à lui au sens propre et au sens figuré : « Une sensation douloureuse le lance sur le haut de la cuisse, le vieil  homme se retourne sur l’autre flanc en gémissant, avant de se réveiller tout à fait. La spirale du carnet, au fond de sa poche, s’est imprimée sur sa peau ». il en connaît chaque mot, chaque chanson joyeuse et vivante.     
    Incompris de sa femme et de son fils, Medianoche, être pur dans une jungle féroce, aurait pu mener une vie différente, réussir sa vie en acceptant la demande en mariage de Rosario, intellectuelle, femme émancipée, militante, courageuse et belle. Mais il n’ose pas outrepasser les barrières sociales, tout comme il n’a jamais osé s’enfuir des camps de concentration. Se mariant avec Pura,  il subit sa vie, plongeant dans le silence, n’appartenant plus à aucun bord politique.    
     Son échappée de quinze jours pour fuir Nouria et protéger sa liberté transforme sa vie. Naïf, innocent au début, il évolue. Alors qu’il était prêt à tout abandonner après la disparition de Ramon, qu’il semblait sombrer, buvant de l’alcool, « il refuse l’appel du néant ». Une prise de conscience s’opère en lui. Tout s’éclaire. Il comprend que son frère a été heureux qu’il n’ait pas été arrêté. « Il a vécu lâchement, mais la Rédemption est possible ». Il repart alors, emmené symboliquement vers la vie par une jeune femme qui ressemble étrangement à Rosario. Il s’est  enfin échappé, mais pas définitivement comme son fils dont il admirait l’acte courageux, il a échappé au négatif, au pessimisme pour désormais vivre libre et heureux en compagnie de sa sœur.  
Au fil du temps, Medianoche sentait son jumeau décédé auprès de lui, le frôler avant finalement de l’intégrer en lui-même.  Le côté nocturne, sombre,  disparaîtra  pour faire place au côté diurne, au côté lumineux. « Minuit »  absorbera symboliquement « Midi ».   Miguel peut enfin sourire, d’un vrai sourire.

 

    Dans Mille ans après la guerre,  sans concession, Carine Fernandez donne à voir l’Espagne d’hier – sa violence, sa misère, ses souffrances, ses haines mortifères et ses délations généralisées où même la confession devient un danger, sa résistance admirable – et celle des années 2000 – sa beauté, la vie foisonnante et festive dans laquelle malgré tout des rancoeurs, des rancunes subsistent encore. L’Espagne joue un rôle fondamentale dans l’ouvrage avec ses galeries de personnages, ses lieux variés : la campagne, la ville, les restaurants, les hôtels, les maisons, les rues aux couleurs éclatantes  où différents destins se croisent. Les nombreux mots espagnols immergent le lecteur dans le pays, l’embarquent  au-delà des Pyrénées.      
    Mille ans après la guerre est fondé sur la réalité historique, le Vécu.  Ce roman montre la guerre civile espagnole dans sa plus profonde intimité, sa violence, ses lots de peine,  d’héroïsme, de solidarité. Il dévoile des épisodes peu connus de la guerre d’Espagne oubliée de tous, l’Histoire réécrite ne mettant en valeur que la Résistance américaine et française. Avec amertume,  colère comme le prouvent ses exclamations, le diminutif péjoratif  précédé de l’article défini pour désigner Franco, Valeriano Torres, agent de liaison de la CNT,  explique sa désillusion : « Ils y ont cru. On y a tous cru. Une fois le nazisme renversé, on se débarrasserait du franquisme dans la foulée. Après Paris et Berlin, il y aurait Madrid. Tu  parles ! On a laissé le Franquito bien tranquille de l’autre côté des Pyrénées et on s’est empressé de réécrire l’histoire. Il n’y en a eu que pour les Américains, et les résistants français. A les entendre toute la France était résistante. Sur les libérateurs espagnols, pas un mot ! »    Les personnages fictifs  plus vrais que nature sont loin de tout manichéisme.  Les fascistes ont commis des atrocités indicibles, mais les grévistes de 1931 aussi : « Un homme est tombé dans la rue du Calvaire, un paysan dont nul ne retiendra le nom, qui ne s’est mis à exister que la fraction de seconde où une balle lui a transpercé le cœur. Alors il est devenu le gréviste fusillé et toutes les Erinyes déchainées, fouettées par le sang vif épandu sur le sable,  se sont jetées sur les gardes dans la sarabande implacable du meurtre ».  Comme dans la mythologie grecque,  le  sang répandu de cet innocent paysan, symbole vite oublié,  déclenche la furie vengeresse des villageois  luttant pour leurs droits et  punissant impitoyablement les assassins.  La violence engendre la violence.  Andrés,  lui qui a sauvé des vies par sa fonction de médecin, par ses gestes de solidarité envers ses compagnons de lutte, a connu  la joie de tuer l’adversaire : « J’ai senti ça sur les barricades. Quand les camarades tombent et que tu restes debout et que tu continues de mitrailler comme un fou furieux et que ton cœur bondit de joie au moment où tu arraches d’une rafale le visage du phalangiste qui monte à l’assaut ».  On ne peut en effet être tolérant avec l’intolérable. Malgré sa formidable personnalité, son humanisme, sa générosité, son héroïsme, le militant  libertaire  a éprouvé  aussi la « jubilation du survivant », la joie de ne pas être choisi pour être exécuté, le soulagement, l’instinct de vie plus fort que la camaraderie. Réaliste, la narratrice prouve que l’être humain forme un tout, qu’il n’existe pas de frontière entre le bien et le mal.

    Dans son ouvrage où des événements violents, insoutenables sont donnés à voir, Carine Fernandez ne sombre jamais dans le pathos. Son humour et son ironie cassent toujours le tragique. De nombreuses remarques, figures de style humoristiques ou ironiques glissées dans le récit ou dans les dialogues brisent toujours le tragique  :  des parallélismes, « Après la traite des Noirs, ils ont inventé la traite des rouges »,  des zeugmas, « un bigot et un donneur de leçons infatué de sa fortune, bien qu’accablé d’un cancer de la prostate et de quatre filles en âge d’être mariées », le retournement de clichés, « Ramon le regardait en hochant la queue », des prénoms ou des surnoms symboliques et allusionnels, « Don Matelas »,  de petits coups de griffes contre une certaine forme de religion, « les poux franciscains »… Un des moments les plus émouvants  est paradoxalement la mort du perroquet républicain : «Le craquement d’un cou de perroquet. Tiède et délicat, menu, tel un poignet de nouveau-né, mais qui fait un bruit sec, un affreux craquètement de toutes ses trop vieilles vertèbres ».  La vie chétive et  gracile donnée par le champ lexical de la tendreté, de la délicatesse, la référence au nouveau-né symbole de fragilité et d’innocence, les allitérations en « r » concrétisant le craquement des os bouleversent le lecteur. Mais l’émotion est vite brisée par la référence au combat inégal grotesque entre l’homme et l’oiseau et par l’épisode farcesque du parallélisme  avec le perroquet fasciste identique.

   

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06 décembre 2018 | Lien permanent

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